THE ATLANTIDE OR LEGENDARY ORIGINS OF THE IBERIAN RACE.
Chapter 3, from
Le Premiers Habitants de l'Europe
Par
H. D'Arbois de Jubainville
Seconde Édition
Tome Premier
{excerpt}
CHAPITRE II.
L' ATLANTIDE OU LES ORIGINES LÉGENDAIRES DE LA RACE IBÉRIQUE.
Sommaire. § 1. Récit de Platon. § 2. Récit do Théopompe. § 3. Récit de Marcellus. § 4. Hypothèse de Poseidonios. § 5. Où aurait été située l'Atlautide? § 6. Doctrine de Sénèque le tragique.
§ 1. Récit de Platon.
Plusieurs auteurs grecs nous ont transmis une légende d'après laquelle, à un âge fort reculé, il y aurait eu des relations, depuis interrompues, entre notre continent et une autre contrée séparée de nous par l'Océan Atlantique. Le premier de ces auteurs est Platon; il vivait au iv siècle avant notre ère. Mais il s'appuie sur l'autorité d'un poème composé par Solon, deux siècles auparavant, et où ce législateur célèbre aurait consigné un récit historique conservé par les prêtres égyptiens.
Il y aurait eu, en regard du détroit appelé par les Grecs colonnes d'Hercule, ujourd'hui détroit de Gibraltar, une île plus grande que l'Afrique et l'Asie réunies. Elle aurait été le siège d'une civilisation bien supérieure à celle des habitants des cavernes, alors maîtres de l'Europe occidentale. Elle auraiteu des villes, des palais, des temples; de cette île, nommée par Platon
[17]
Atlantide, serait partie, neuf mille ans avant ce philosophe, une armée puissante; cette armée se serait emparée de l'Europe occidentale jusques et y compris l'Italie, appelée Tyrrhénie au temps de Platon; elle aurait conquis l'Afrique du nord jusques et non compris l'Egypte. Bien entendu, le chiffre de neuf mille ans ne doit pas être pris à la lettre, il indique seulement une date très reculée.2
§ 2. Récit de Théopompe.
Une autre forme de cette tradition apparaît chez Théopompe, auteur du iv siècle comme Platon, mais un peu postérieur à ce philosophe célèbre. Suivant Théopompe une version de l'histoire de l'Atlantique aurait fait partie des enseignements donnés par Silène à l'antique roi Midas. Silène, fait prisonnier par Midas, initie ce roi à la haute sagesse et aux secrets de la nature et de l'avenir. Or voici un des discours tenus par
2. Platon du reste donne pour contemporains aux conquérants venus de l'Atlantide les rois mythiques d'Athènes, Cécrops, Erechthée, que les autres monuments chronologiques de la Grèce mettent à une date beaucoup moins ancienne. Cécrops et Erechthée, suivant le marbre de Paros' auraient régné, l'un 1582 ans, L'autre 1409 ans avant J.-C.
[18]
Silène à Midas: L'Europe, l'Asie et l'Afrique sont des îles que le cours de l'Océan enveloppe coinme d'un cercle. Il n'y a qu'un seul continent et il se trouve ailleurs. Sa grandeur est immense. Il nourrit de grands animaux et des hommes deux fois aussi grands que nous. Leur vie n'est pas comme la nôtre; elle dure deux fois autant. Il se trouve dans leur pays beaucoup de villes, de grandes villes, qui ont leurs mœurs particulières et dont les lois sont l'opposé des nôtres... Les habitants de cette contrée possèdent une grande quantité d'or et d'argent, de sorte que chez eux l'or est moins estimé que cheznous le fer. Un jour ils entreprirent de passer dans nos îles, et après avoir traversé l'Océan au nombre de dix millions d'hommes, ils arrivèrent dans le pays des Hyperboréens (c'està-dire dans les régions où la race celtique dominait au vi siècle, car un auteur grec contemporain de Théopompe appelle Hyperboréens les Gaulois qui s'emparèrent de Rome). Les conquérants venus d'au-delà de l'Océan prirent des renseignements sur la contrée où ils débarquaient. On leur dit que les Hyperboréens étaient les plus heureux de tous les peuples de l'Europe, de l'Afrique et de l'Asie, et méprisant l'existence pauvre et misérable des Hyperboréens ils dédaignèrent d'aller plus loin.
La seule différence importante entre le récit de Théopompe et celui de Platon consiste dans l'étendue des conquêtes faites par les émigrants venus de l'Atlantide. D'après Théopompe, ces émigrants ne seraient pas sortis des régions hyperboréences, tandis que, suivant le texte de Platon cité plus haut, ils se seraient emparés de l'Italie et de la partie de l'Afrique qui avoisine l'Egypte. Le grand philosophe athénien, dont nous avons forcément abrégé les développements, nomme aussi parmi les possessions de ces conquérants étrangers le pays de
[19]
Gadir aujourd'hui Cadix, c'cst-à-dire l'Espagne. Enfin il parle d'une guerre entre les habitants de la Grèce et l'armée qui avait conquis les régions occidentales de notre continent. Les habitants de la Grèce repoussèrent l'invasion. Ce n'étaient pas encore les Héllènes. Les Pélasges, auxquels la tradition donnait une place si considérable dans l'histoire primitive d'Athènes, étaient encore maîtres de la contrée que le nom de Grèce désigna plus tard. Ils avaient des maisons et des villes, probablement des métaux. Ce serait devant eux qu'en Europe, après avoir mis sous le joug les habitants des cavernes, le flot des conquérants venus de l'Atlantide se serait arrêté: en Afrique il avait trouvé dans la civilisation égyptienne une barrière insurmontable, si nous en croyons ce que Platon nous raconte.3
3. Dans le Timée de Platon, le panégyrique des Athéniens qui triomphent des conquérants venus de l'Atlantide, se termine par le récit d'une inondation: vaioqueurs et vaincus sont engloutis à la fois. L'intervention d'un déluge à la fin de l'histoire pelasgique est lu conséquence naturelle de la conquête de la Grèce par la race hellénique dont l'histoire commence par le déluge de Deucalion. A la suite des traditions pélasgiques, les premiers historiens ont naturellement placé les plus anciennes traditions des Hellènes, successeurs des Pelasges; or ces traditions débutent par le récit du déjuge dit de Deucalion, et on a cru que ce déluge, étant de tradition hellénique, appartenait à la période hellénique de l'histoire grecque, tandis qu'il remonte à une date où la race européenne habitait encore l'Asie. L'histoire de Lesbos dans Diodore, livre V, c. 81; édition Didot-Müller, t. I, p. 305-306 nous donne un curieux exemple de ce procédé enfantin de composition historique. Les Pelasges, premiers habitants de Lesbos, occupent seuls cette ile pendant sept générations. Puis arrive le déluge de Deucalion, et après ce déluge, Macareus, à la tête d'une colonie composée d'Ioniens et d'autres hommes appartenant à des peuples anonymes. On sait que les Ioniens sont une subdivision de la race hellénique. Il est très curieux de comparer ce récit avec le résumé de l'histoire primitive d'Athènes donné par Justin, livre II, c. 6, qui, en abrégeant Trogue Pompée, reproduit médiatemcut la doctrine d'un auteur grec plus ancien. On trouve chez Justin une dynastie de rois antérieure au déluge de Dcucalion.
[20]
Tandis que le récit de Platon nous est donné comme d'origine égyptienne, Théopompe ne nous dit pas la provenance du sien, mais les variantes qui le distinguent nous permettent do le considérer comme tiré d'une source indépendante de celle où a puisé Platon.
§ 3. Récit de Marcellus.
Platon et Théopompe ne sont pas les seuls auteurs de l'antiquité chez lesquels il soit question de l'Atlantide. Marcellus, dans l'ouvrage intitulé Ethiopiques, parlait de dix îles situées dans l'Océan Atlantique près de notre continent, et dans lesquelles nous pouvons peut-être reconnaître les Canaries. Il ajoutait que les habitants de ces îles avaient conservé le souvenir d'une île beaucoup plus grande, l'Atlantide, qui avait longtemps exercé la domination sur les autres îles de l'Océan Atlantique. Ainsi deux textes, l'un de Platon, l'autre de Théopompe, s'accordent pour raconter la conquête d une partie de l'ancien monde par des étrangers venus d'un pays inconnu et le premier de ces deux textes s'accorde avec Marcellus pour désigner ce pays par le nom d'Atlantide.
§ 4. Hypothèse de Poseidonios.
Où l'Atlantide était-elle située? Si nous nous en rapportons
[21]
à Platon, il serait inutile de chercher ce pays sur nos cartes. L'Atlantide, suivant Platon, a été détruite par des tremblements de terre. On voit quelquefois la terre s'élever, on la voit quelquefois s'abaisser, écrivait environ un siècle avant notre ère l'historien Poseidonios: on peut donc, continuait-il, admettre que le récit de Platon sur l'Atlantide n'est pas une fiction, il y a même plus de raisons pour accueillir ce récit que pour le rejeter. Les Açorcs, les Canaries et Madère seraient donc les débris d'un continent ou d'une grande ile dont les poétiques tableaux de Platon et Théopompe exagèrent beaucoup l'importance géographique, mais non le rôle dans l'histoire de notre civilisation. Ce serait de là que la race ibérique aurait été conquérir les régions occidentales de l'Europe, où, sous les yeux étonnés des sauvages habitants des cavernes, elle aurait bâti les premières villes, et où elle domina jusqu'à l'arrivée des Indo-Européens. Ce serait de là que la race ibérique aurait étendu son empire sur l'Afrique du nord, jusqu'au moment où la race berbère, proche parente des Egyptiens, venue d'Orient comme les Egyptiens, fit la conquête de cette région.2 Peut-être pourrait-on retrouver aujourd'hui dans l'Afrique centrale, suivant une hypothèse admise par M. A. Maury, quelques descendants des Ibères rejetés dans ces contrées brûlantes par les Berbères vainqueurs, quelques parents des
2. C'est probablement aux coiiquùles de la race berbùre sur les Ibères d'Afrique que se réfère un passage d'Éphore sur les migrations des Éthiopiens en Occident et sur la tradition conservée à ce sujet en Espagne par les Tartesses: "{}, Strabon, livre I, c. II, § 26; édition Didot-Müller et Dubner, p. 27, 1. 25-28; cf. p. 9i-2. Éphore, fragm. 38, chez Didot-Müller. Fragmenta historicornm graecorum, t. I, p. 241.
[22]
Basques, de ces autres Ibères que l'invasion indo-européenne a relégués dans un coin des Pyrénées.
§ 5. Doctrine de Senèque le tragique.
Mais il semble que dès l'antiquité une théorie plus hardie aurait été proposée. Quelques esprits audacieux ont cru, paraît-il, que l'Atlantide existait encore dans des régions alors inaccessibles à la navigation timide des marins grecs et romains. Sénèque le tragique se fait Torgane de cette thèse brillante: «Un temps viendra, dans les siècles futurs, où la mer laissera tomber les chaînes qui ferment ses passages: une vaste terre se développera devant nous; la mer laissera voir des mondes nouveaux, et des pays connus le dernier ne sera plus Thulé.» Ces paroles éloquentes ne sont probablement autre chose qu'une explication évémériste do la croyance au séjour occidental des morts sous le sceptre mythique de Kronos, père du grand dieu Zeus. Le hasard a fait que ce commentaire, produit logique d'une méthode vulgaire, a pris à nos yeux l'aspect mystérieux d'une prophétie: Sénèque est un prédécesseur de Christophe Colomb.
M. Withney, un des linguistes les plus distingués de notre époque, dit, en parlant du basque, c'est-à-dire du représentant moderne de la langue des Ibères: «Il n'y a pas de dialecte dans le vieux monde qui lui ressemble autant sous le rapport de la structure, que les langues américaines.»
Mais gardons-nous de rien conclure. Attendons que les études de linguistique aient pris plus de développement et de profondeur, que les langues de l'Amérique, que les langues
[23]
de l'Afrique centrale, que les races de ces pays, encore si peu et si mal explorés, soient mieux connues: jusque-là no prétendons pas dévoiler des secrets encore inabordables à la science de notre temps. Bornons-nous à constater que d'antiques légendes placent à l'aube de l'histoire, dans les régions occidentales de l'Europe, un puissant empire créé par une population dont l'origine, suivant ces vieux récits, n'était pas asiatique, et qui serait venue d'une île située, parait-il, à l'ouest de l'Espagne et des régions septentrionales de l'Afrique.
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Please forgive the OCR-corrections I didn't catch.
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Le Premiers Habitants de l'Europe
Par
H. D'Arbois de Jubainville
Seconde Édition
Tome Premier
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CHAPITRE II.
L' ATLANTIDE OU LES ORIGINES LÉGENDAIRES DE LA RACE IBÉRIQUE.
Sommaire. § 1. Récit de Platon. § 2. Récit do Théopompe. § 3. Récit de Marcellus. § 4. Hypothèse de Poseidonios. § 5. Où aurait été située l'Atlautide? § 6. Doctrine de Sénèque le tragique.
§ 1. Récit de Platon.
Plusieurs auteurs grecs nous ont transmis une légende d'après laquelle, à un âge fort reculé, il y aurait eu des relations, depuis interrompues, entre notre continent et une autre contrée séparée de nous par l'Océan Atlantique. Le premier de ces auteurs est Platon; il vivait au iv siècle avant notre ère. Mais il s'appuie sur l'autorité d'un poème composé par Solon, deux siècles auparavant, et où ce législateur célèbre aurait consigné un récit historique conservé par les prêtres égyptiens.
Il y aurait eu, en regard du détroit appelé par les Grecs colonnes d'Hercule, ujourd'hui détroit de Gibraltar, une île plus grande que l'Afrique et l'Asie réunies. Elle aurait été le siège d'une civilisation bien supérieure à celle des habitants des cavernes, alors maîtres de l'Europe occidentale. Elle auraiteu des villes, des palais, des temples; de cette île, nommée par Platon
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Atlantide, serait partie, neuf mille ans avant ce philosophe, une armée puissante; cette armée se serait emparée de l'Europe occidentale jusques et y compris l'Italie, appelée Tyrrhénie au temps de Platon; elle aurait conquis l'Afrique du nord jusques et non compris l'Egypte. Bien entendu, le chiffre de neuf mille ans ne doit pas être pris à la lettre, il indique seulement une date très reculée.2
§ 2. Récit de Théopompe.
Une autre forme de cette tradition apparaît chez Théopompe, auteur du iv siècle comme Platon, mais un peu postérieur à ce philosophe célèbre. Suivant Théopompe une version de l'histoire de l'Atlantique aurait fait partie des enseignements donnés par Silène à l'antique roi Midas. Silène, fait prisonnier par Midas, initie ce roi à la haute sagesse et aux secrets de la nature et de l'avenir. Or voici un des discours tenus par
2. Platon du reste donne pour contemporains aux conquérants venus de l'Atlantide les rois mythiques d'Athènes, Cécrops, Erechthée, que les autres monuments chronologiques de la Grèce mettent à une date beaucoup moins ancienne. Cécrops et Erechthée, suivant le marbre de Paros' auraient régné, l'un 1582 ans, L'autre 1409 ans avant J.-C.
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Silène à Midas: L'Europe, l'Asie et l'Afrique sont des îles que le cours de l'Océan enveloppe coinme d'un cercle. Il n'y a qu'un seul continent et il se trouve ailleurs. Sa grandeur est immense. Il nourrit de grands animaux et des hommes deux fois aussi grands que nous. Leur vie n'est pas comme la nôtre; elle dure deux fois autant. Il se trouve dans leur pays beaucoup de villes, de grandes villes, qui ont leurs mœurs particulières et dont les lois sont l'opposé des nôtres... Les habitants de cette contrée possèdent une grande quantité d'or et d'argent, de sorte que chez eux l'or est moins estimé que cheznous le fer. Un jour ils entreprirent de passer dans nos îles, et après avoir traversé l'Océan au nombre de dix millions d'hommes, ils arrivèrent dans le pays des Hyperboréens (c'està-dire dans les régions où la race celtique dominait au vi siècle, car un auteur grec contemporain de Théopompe appelle Hyperboréens les Gaulois qui s'emparèrent de Rome). Les conquérants venus d'au-delà de l'Océan prirent des renseignements sur la contrée où ils débarquaient. On leur dit que les Hyperboréens étaient les plus heureux de tous les peuples de l'Europe, de l'Afrique et de l'Asie, et méprisant l'existence pauvre et misérable des Hyperboréens ils dédaignèrent d'aller plus loin.
La seule différence importante entre le récit de Théopompe et celui de Platon consiste dans l'étendue des conquêtes faites par les émigrants venus de l'Atlantide. D'après Théopompe, ces émigrants ne seraient pas sortis des régions hyperboréences, tandis que, suivant le texte de Platon cité plus haut, ils se seraient emparés de l'Italie et de la partie de l'Afrique qui avoisine l'Egypte. Le grand philosophe athénien, dont nous avons forcément abrégé les développements, nomme aussi parmi les possessions de ces conquérants étrangers le pays de
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Gadir aujourd'hui Cadix, c'cst-à-dire l'Espagne. Enfin il parle d'une guerre entre les habitants de la Grèce et l'armée qui avait conquis les régions occidentales de notre continent. Les habitants de la Grèce repoussèrent l'invasion. Ce n'étaient pas encore les Héllènes. Les Pélasges, auxquels la tradition donnait une place si considérable dans l'histoire primitive d'Athènes, étaient encore maîtres de la contrée que le nom de Grèce désigna plus tard. Ils avaient des maisons et des villes, probablement des métaux. Ce serait devant eux qu'en Europe, après avoir mis sous le joug les habitants des cavernes, le flot des conquérants venus de l'Atlantide se serait arrêté: en Afrique il avait trouvé dans la civilisation égyptienne une barrière insurmontable, si nous en croyons ce que Platon nous raconte.3
3. Dans le Timée de Platon, le panégyrique des Athéniens qui triomphent des conquérants venus de l'Atlantide, se termine par le récit d'une inondation: vaioqueurs et vaincus sont engloutis à la fois. L'intervention d'un déluge à la fin de l'histoire pelasgique est lu conséquence naturelle de la conquête de la Grèce par la race hellénique dont l'histoire commence par le déluge de Deucalion. A la suite des traditions pélasgiques, les premiers historiens ont naturellement placé les plus anciennes traditions des Hellènes, successeurs des Pelasges; or ces traditions débutent par le récit du déjuge dit de Deucalion, et on a cru que ce déluge, étant de tradition hellénique, appartenait à la période hellénique de l'histoire grecque, tandis qu'il remonte à une date où la race européenne habitait encore l'Asie. L'histoire de Lesbos dans Diodore, livre V, c. 81; édition Didot-Müller, t. I, p. 305-306 nous donne un curieux exemple de ce procédé enfantin de composition historique. Les Pelasges, premiers habitants de Lesbos, occupent seuls cette ile pendant sept générations. Puis arrive le déluge de Deucalion, et après ce déluge, Macareus, à la tête d'une colonie composée d'Ioniens et d'autres hommes appartenant à des peuples anonymes. On sait que les Ioniens sont une subdivision de la race hellénique. Il est très curieux de comparer ce récit avec le résumé de l'histoire primitive d'Athènes donné par Justin, livre II, c. 6, qui, en abrégeant Trogue Pompée, reproduit médiatemcut la doctrine d'un auteur grec plus ancien. On trouve chez Justin une dynastie de rois antérieure au déluge de Dcucalion.
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Tandis que le récit de Platon nous est donné comme d'origine égyptienne, Théopompe ne nous dit pas la provenance du sien, mais les variantes qui le distinguent nous permettent do le considérer comme tiré d'une source indépendante de celle où a puisé Platon.
§ 3. Récit de Marcellus.
Platon et Théopompe ne sont pas les seuls auteurs de l'antiquité chez lesquels il soit question de l'Atlantide. Marcellus, dans l'ouvrage intitulé Ethiopiques, parlait de dix îles situées dans l'Océan Atlantique près de notre continent, et dans lesquelles nous pouvons peut-être reconnaître les Canaries. Il ajoutait que les habitants de ces îles avaient conservé le souvenir d'une île beaucoup plus grande, l'Atlantide, qui avait longtemps exercé la domination sur les autres îles de l'Océan Atlantique. Ainsi deux textes, l'un de Platon, l'autre de Théopompe, s'accordent pour raconter la conquête d une partie de l'ancien monde par des étrangers venus d'un pays inconnu et le premier de ces deux textes s'accorde avec Marcellus pour désigner ce pays par le nom d'Atlantide.
§ 4. Hypothèse de Poseidonios.
Où l'Atlantide était-elle située? Si nous nous en rapportons
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à Platon, il serait inutile de chercher ce pays sur nos cartes. L'Atlantide, suivant Platon, a été détruite par des tremblements de terre. On voit quelquefois la terre s'élever, on la voit quelquefois s'abaisser, écrivait environ un siècle avant notre ère l'historien Poseidonios: on peut donc, continuait-il, admettre que le récit de Platon sur l'Atlantide n'est pas une fiction, il y a même plus de raisons pour accueillir ce récit que pour le rejeter. Les Açorcs, les Canaries et Madère seraient donc les débris d'un continent ou d'une grande ile dont les poétiques tableaux de Platon et Théopompe exagèrent beaucoup l'importance géographique, mais non le rôle dans l'histoire de notre civilisation. Ce serait de là que la race ibérique aurait été conquérir les régions occidentales de l'Europe, où, sous les yeux étonnés des sauvages habitants des cavernes, elle aurait bâti les premières villes, et où elle domina jusqu'à l'arrivée des Indo-Européens. Ce serait de là que la race ibérique aurait étendu son empire sur l'Afrique du nord, jusqu'au moment où la race berbère, proche parente des Egyptiens, venue d'Orient comme les Egyptiens, fit la conquête de cette région.2 Peut-être pourrait-on retrouver aujourd'hui dans l'Afrique centrale, suivant une hypothèse admise par M. A. Maury, quelques descendants des Ibères rejetés dans ces contrées brûlantes par les Berbères vainqueurs, quelques parents des
2. C'est probablement aux coiiquùles de la race berbùre sur les Ibères d'Afrique que se réfère un passage d'Éphore sur les migrations des Éthiopiens en Occident et sur la tradition conservée à ce sujet en Espagne par les Tartesses: "{}, Strabon, livre I, c. II, § 26; édition Didot-Müller et Dubner, p. 27, 1. 25-28; cf. p. 9i-2. Éphore, fragm. 38, chez Didot-Müller. Fragmenta historicornm graecorum, t. I, p. 241.
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Basques, de ces autres Ibères que l'invasion indo-européenne a relégués dans un coin des Pyrénées.
§ 5. Doctrine de Senèque le tragique.
Mais il semble que dès l'antiquité une théorie plus hardie aurait été proposée. Quelques esprits audacieux ont cru, paraît-il, que l'Atlantide existait encore dans des régions alors inaccessibles à la navigation timide des marins grecs et romains. Sénèque le tragique se fait Torgane de cette thèse brillante: «Un temps viendra, dans les siècles futurs, où la mer laissera tomber les chaînes qui ferment ses passages: une vaste terre se développera devant nous; la mer laissera voir des mondes nouveaux, et des pays connus le dernier ne sera plus Thulé.» Ces paroles éloquentes ne sont probablement autre chose qu'une explication évémériste do la croyance au séjour occidental des morts sous le sceptre mythique de Kronos, père du grand dieu Zeus. Le hasard a fait que ce commentaire, produit logique d'une méthode vulgaire, a pris à nos yeux l'aspect mystérieux d'une prophétie: Sénèque est un prédécesseur de Christophe Colomb.
M. Withney, un des linguistes les plus distingués de notre époque, dit, en parlant du basque, c'est-à-dire du représentant moderne de la langue des Ibères: «Il n'y a pas de dialecte dans le vieux monde qui lui ressemble autant sous le rapport de la structure, que les langues américaines.»
Mais gardons-nous de rien conclure. Attendons que les études de linguistique aient pris plus de développement et de profondeur, que les langues de l'Amérique, que les langues
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de l'Afrique centrale, que les races de ces pays, encore si peu et si mal explorés, soient mieux connues: jusque-là no prétendons pas dévoiler des secrets encore inabordables à la science de notre temps. Bornons-nous à constater que d'antiques légendes placent à l'aube de l'histoire, dans les régions occidentales de l'Europe, un puissant empire créé par une population dont l'origine, suivant ces vieux récits, n'était pas asiatique, et qui serait venue d'une île située, parait-il, à l'ouest de l'Espagne et des régions septentrionales de l'Afrique.
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